lundi 31 mars 2008

Satan s'ennuie

Je ne l'avais jamais vu comme ça: morose, fâché mais peu bavard, seul dans son coin donnant des coups de pied aux roches pour les faire valser. Le plus étrange, c'est qu'il ne parle pas.

Je le pris par la main et nous partîmes en promenade. Il restait silencieux, le regard fixe vers l'avant. Tout d'un coup un merle vint se poser sur le chemin et chanta. Satan resta pétrifié devant la scène et se mit à pleurer. Il s'assit par terre et trépigna hurlant: je m'ennuie de mon poulet.

Voilà: Satan s'ennuie de son poulet. Même s'il s'est amusé à courir après le Tétras lapon, ce n'est jamais aussi amusant que de se cacher pour faire envoler le poulet et le faire caqueter à tout rompre.
Je le pris dans mes bras pour le retour et après avoir longuement pleuré, il s'endormit en sanglotant. Pauvre Satan.

dimanche 30 mars 2008

Terese scrute

Elle avait convoqué tous les habitants de l'île à sa réunion. Terese les attendait dans le milieu de la cathédrale avec un casque de construction sur la tête, mais habillée d'une jupe de suède et de ses bottes assorties. C'était en tant que présidente tournante qu'elle avait organisée cette réunion/groupe de travail/ commission d'enquête sur la cathédrale. Tous y étaient allés à contrecoeur. Tout le monde savait bien que la construction traînait en longueur et que l'essoufflement s'était mis de la partie. Jean Courtemanche ne s'était pas présenté à la réunion se sentant encore un peu déprimé et trop pris par le sujet. Il préférait entendre le verdict après la plénière.
Elle fit dresser une table au coeur du transept et s'assit au centre de la table. Elle disposa ses papiers devant elle et mis ses lunettes de lecture. Voici un extrait de son allocution:

"Chers amis,
Je me questionne sur la présence de cette cathédrale en notre île et j'essaie de comprendre quel est son problème. Notre constructeur est en burn out et le flou semble nimber ce projet. Je sais que tous taisent une partie des sentiments qu'ils ressentent face à cette bâtisse. Un silence épais et tacite règne parmi nous et je crains que cette situation n'enlève la vivacité à notre communauté.

Je commencerai par m'exprimer au sujet de cette cathédrale. Lorsque que je suis arrivé cette année au sein de l'île, je me suis dit en arrivant en bateau que c'était une construction bien énorme pour une si petite île. Majestueuse, imposante, forte, mais tout de même disproportionnée. Je me suis dit en moi-même: quelle drôle d'idée d'avoir une chapelle et une cathédrale sur une même île. Je me demande parfois à quoi elle sert: nous n'y allons jamais car son intérieur est lugubre et froid et nous avons déjà notre église pour nous-mêmes. En plus, personne ici n'est religieux et nous n'avons pas de ministre et n'en voulons pas. Les touristes sont rares (5 par jours!): elle ne sert finalement que très peu et à peu de gens.

L'autre problème est qu'elle nous apparaisse difficilement. Puisqu'il y fait si sombre, il est difficile d'y voir à l'intérieur. Et c'est aussi vrai pour l'extérieur! Elle est si haute et près de la chapelle qu'on ne peut s'imaginer son ampleur véritable. Je défie quiconque de la bien dessiner!

Je sais que Brahma et la princesse la trouvent impersonnelle, que Satan la trouve froide, que Gontran en est fier, que Jean ne sait plus comment s'y lier. Il y a bien Adrianna Gourd qui la trouve majestueuse et élevée. Moi, je crois que c'est un symbole appréciable, digne de fierté, mais trop proche de nous."
Tout le monde se regardait les pieds.
Terese repartit de plus belle:

"Personne n'a remarqué que sa construction était terminée. Il y manque toujours des festons, de gargouilles et autres détails architecturaux, mais la cathédrale est. Je constate aussi qu'il n'y a eu aucune cérémonie d'inauguration, que personne ne l'a investi. Alors voici ma question: qu'allons-nous en faire?"

Tous semblaient éluder la question.

"Voici les options: 1)la détruire 2)l'investir 3) la déplacer"

Gontran s'exclama:" Nous devrions faire en sorte que la façade soit en verre, ainsi la lumière entrerait. Le soleil y pénètrerait grandiose!"

Tous se tournèrent vers lui, interloqués et surpris.

"Et on pourrait aussi y donner des pièces de théâtre, des passions, des concerts, des sonneries."

Terese était médusée. "Je t'en charge" lui dit-elle.
Gontran souriait et tous les autres îliens le regardèrent avec admiration et soulagement.

Brahma dit alors: "La meilleure solution serait de la distancier réellement ou que l'on construise d'autres bâtiments afin qu'elle se perde parmi d'autres, mais avant que cela ne se fasse je crois que nous devrions construire un ruisseau pour nous en séparer. Nous pourrions y jeter un ponceau afin qu'il réunisse les deux terres d'église.

Tous se regardèrent et se levèrent bruyamment, contents d'avoir trouvé une solution.

samedi 15 mars 2008

Ménage

Après avoir lancé les assiettes et déchiré le tapis tellement je me sentais mal à l'aise dans ce nouvel espace, j'ai décidé de tout réorganiser le chalet. Exit le vieux tapis orange et les décorations empoussiérées, les miroirs ayant perdu leur tain, les baigneuses bleu poudre languissantes de la salle de bain, les angelots gazés de la chambre des maîtres. Ça tombait bien le bateau vidangeur conduit par le Capitaine X6 passait dans le coin. Il pourra faire toutes sortes de constructions avec mes déchets...tant mieux pour lui. C'est sûr que ça emmerdait Louis-Michel qui voulait se faire rôtir nu sur le pont, mais il trouvait plaisir à observer le Capitaine et ses matelots se mouvoir sur leur rafiot.

Un coup parti le vaisseau-vidange, le chalet était maintenant vide et poussiéreux. Je fis un grand ménage et tout le pourtour du chalet brillait d'un éclat soyeux tant la poussière envahissait l'espace. Ce fut ainsi deux jours durant et j'entendais les mouettes tousser au-dehors.

Puis, je mis une gros système de son coûteux dans le milieu du salon et j'étendis par terre de la musique en feuille et écoutai les sons soyeux sortant des technologiques parleurs. Je m'entourai d'architectures ailées afin de me faire un dais de feuille et d'arabesques contournées, voyant dans l'espace les structures se déployer et se mouvoir au gré de l'esprit. Pour un instant, j'oubliai mon nom, l'espace et cette pesante matière afin de m'enfuir haut, loin et ailleurs, me mouvant souple et léger. Joyeux.

Alleluia.

lundi 10 mars 2008

Jean Courtemanche confessé

Jean est assis dans son fauteuil depuis plus d'un mois...Réjeanne n'aime pas trop ça, mais ne s'inquiète pas. Jean non plus n'aime pas ça et il triche en allant voir les chantiers, mais toujours déguisé afin que personne ne le remarque. Au moins, il s'amuse à changer de déguisement: une vieille dame, un clown, une mascotte de Baseball mineur, un inspecteur du gouvernement.

Un jour d'une visite travestie sur un chantier d'une Église Baptiste, il regardait l'avancée des travaux en travers de la clôture. Il constatait satisfait l'allure de la bâtisse et le rythme des employés. Soudain, il entend quelqu'un s'éclaircir la gorge derrière lui. Il se retourne surpris et voit le prêtre baptiste, évangile en main, le regarder.

Prêtre: Vous avez besoin de vous confesser, mon frère.
Jean Courtemanche: Non, non. Merci.
P: Avez-vous vu un point d'interrogation à la fin de ma phrase? Regardez: Vous avez besoin de vous confesser, mon frère.
J: Ah non, c'est bien vrai...il n'y en a pas!
P: Venez vous confesser.

Le prêtre se dirigea vers deux toilettes chimiques bleues, dressées côte à côte. Jean le suivit, hésitant et à une courte distance, dit:
J: Ce ne semble pas être un lieu approprié pour se confesser.
P: Pas plus qu'un habit de clown pour un entrepreneur en construction ecclésiastique.

Il dit cette dernière phrase sans se retourner et en empoignant vigoureusement la porte de la toilette chimique pour s'y engager d'un geste preste. Jean regarda ses souliers courbés de Clown, vue qui était légèrement obstruée par le nez rouge apposé au bout de son propre pif. La dernière remarque l'avait convaincu de la valeur de l'homme de foi.

Il entra dans la cabine de plastique bleue et un portillon s'ouvrit doucement à sa droite.

P:Vous devez conserver vos culottes en tout temps. C'est une installation temporaire.
J: Bien sûr, mon père.
P: Frère, je suis baptiste...
J: Désolé.
P: Dites-moi l'objet de votre trouble.
J: Je ne peux plus m'abandonner à mon travail avec joie et démesure. J'ai peur et je suis triste. Je suis aussi confus.
P: Une chose à la fois...pourquoi êtes-vous confus?
J: J'ai peur que mon amour me mène à la souffrance.
P: L'amour mène à la souffrance, ou du moins partiellement.
J: J'ai peur que la souffrance dépasse l'amour que j'éprouve.
P: Voilà qui est mieux dit. Est-ce arrivé?
J: Non, j'ai arrêté à temps. Mais j'ai souffert.
P:Et vous avez peur de???
J: Me retrouver dans la même situation
P: Alors, il faut faire différemment
J: Je sais, mais je n'ai pas trouvé.
P:Et vous êtes triste de quoi?
J: De ne plus entretenir une relation idéale avec mon travail.
P: Entretenez-vous une relation idéale avec votre femme
J: Réjeanne? Ça fait 35 ans que nous sommes ensemble!
P: Vous l'aimez?
J: oui, beaucoup.
P: Donc vous pouvez aimer votre travail sans avoir une relation idéale avec celui-ci.

Jean reste muet.

P: Je vous souhaite de faire votre travail dans la joie, mais je ne vous souhaite pas la démesure. Dieu préfère la sincérité à la quantité...surtout ces jours-ci!
J: Merci, mon Père.
P: Frère...

P: J'ai d'autres questions. Pourquoi êtes-vous déguisé en clown?
J: Je trouvais ça drôle et j'aime ça que mes employés soient décontenancés. Et en plus, j'aime bien me déguiser en femme...c'est une petit fantasme...j'ai lu dans un livre qu'il fallait exprimer son côté féminin.
P: Je vois.
J: Moi, j'ai une question. Pourquoi confessez-vous les gens sans qu'ils le demandent? Pourquoi travaillez-vous quand votre église n'est pas encore bâtie et pour quelqu'un qui ne fait pas partie de votre communauté? Et même de vous emménagez une confesse-o-jiggs?
P:Parce que c'est ma mission. J'aime aider les gens. Et le monde est mon église.
J: Mais, votre travail, il ne vous fait jamais chier? Oh Pardon, mon Père, eeuuuuhh, Frère.
P: Oui, bien sûr, ma mission est tellement claire que j'en oublie facilement les désagréments. Et puis je les ai aussi balayés avec le temps.
J: Est-ce que ça veut dire que ma mission n'est pas de bâtir de cathédrale? dit-il, d'une voix remplie de crainte et de désespoir
P: Peut-être. Mais je crois surtout que c'est une partie de votre travail qui ne vous appartient pas. Je pense que vous devriez cesser de vous voir comme un employeur ou du moins comme un bon employeur. Votre spécialité est la construction de cathédrale, pas la gestion d'une équipe. Vous devriez avoir quelqu'un pour faire ça. Vous concentrer sur votre véritable talent: créer un lieu où Dieu et les hommes se rencontrent dans la confidence, la joie et la tristesse. Travaillez pour vous!

L'homme d'Église se leva rapidement et sortit de la toilette chimique en expirant bruyamment: il avait fait toute sa confesse sur un seul souffle. Un miracle.

dimanche 9 mars 2008

Le Chalet

J'ai mis en marche le Brisbane II, mais je n'avais pas envie de retourner en haute mer. Je n'avais pas le courage, ni l'envie. J'ai donc commencé à avancer sans destination précise. Puis, j'ai vu sur la côte un chalet suisse qui donnait sur la mer. J'étais intrigué de voir une telle construction ayant pignon sur plage et frayant son chemin à travers les palmiers. Je dirigeai le Brisbane vers le quai qui prolongeait la sortie de la maison telle une langue tirée dans les flots paisibles. J'ammarai et me dirigeai vers l'habitation. Sur la porte, il était écrit " Xerus, entre!". J'étais surpris de me voir ainsi nommé sur la porte de la maison. À l'intérieur, c'était très semblable à la maison à laquelle j'avais rêvé il y a quelques années et où j'avais rencontré Louis-Michel. Il y avait une petite mezzanine dans le salon où il pouvait facilement dormir et de nombreuses fenêtres pour regarder à l'extérieur. Aussi du bois, partout. Je retournai au Brisbane et réveillai Louis-Michel. J'entrepris de lui faire visiter le chalet suisse et il était d'accord pour dire que les deux maisons se ressemblaient.

"C'est comme chez nous, mais dans le Sud."

Puis, je lui demandai s'il était plus sage de demeurer au chalet et d'utiliser le Brisbane pour des voyages ou de vivre dans le Brisbane et d'utiliser le chalet pour se reposer.

Voici ce qu'il me répondit:
"Je n'aime pas le mot sage dans ta question" et "Je crois qu'il est beaucoup trop tôt pour répondre à cette question".

Mmmmmm, Répondis-je.

Il prit une serviette et s'étendit nu sur le quai. Entre Brisbane et terre.

mardi 4 mars 2008

à l'ancre, à l'encre

Le Brisbane II est à l'ancre. J'ai décidé de rester un peu au même endroit. J'adore voir la côte, ça fait en sorte que je n'ai pas peur. Je sens que je peux partir le moteur et me rendre au bord. En plus, du pont je peux voir les palmiers étendre leur bras dans le vent. Certains matins lorsque le vent est favorable, je peux même sentir les parfums musqués et exotiques de la terre s'élancer comme des fous dans l'air du large. Alors, je les hume au vol et je peux rêver de leur provenance. L'autre avantage de rester à l'ancre près la côte, c'est que les poissons sortent déjà grillés de l'océan. Tu pêches et hop! tu sors un filet bien grillé. J'avoue ne pas trop comprendre, mais comme toute chose bonne et mystérieuse, je les accepte sans poser de questions. Il y a aussi ces bancs de souris nageantes. Elles nagent par groupe de 10 à 15 et semblent dirigées par un chef autoritaire. Elles ont chacun un flotteur et nagent comme des folles sous les imprécations de leur guide, qui somme toute ne semble pas savoir où aller. Décidément, je n'aimerais pas être à leur place.

En dépit de ces anormalités surprenantes, j'aime bien rester dans les eaux saumâtres de la côte. Elles me procurent calme et joie tranquille.