mardi 13 juillet 2010

Avant tout cela- le cul de l'histoire.

Voilà que je me rends compte que quelque chose cloche.
Cette île est sortie de l'océan dans ce qui fut la plus terrible misère de mon existence, une misère de l'intérieur qui allait m'aspirer en moi et me dévorer. Une misère que l'on ne veut plus jamais voir et dont on célèbre chaque matin l'éloignement; une misère qui laisse place à la joie, l'ennui, les projets, le désir, les choses à faire. En relisant cette histoire, je me rends compte qu'il y manque un long bout, comme si d'une grenouille, on ne voyait que la moitié du tronc, la tête et les pattes d'en avant.
Maintenant, voyons son cul.

C'était l'histoire d'un employé de pelle mécanique qui, à chaque fois qu'il construisait un mur et qu'il arrivait à quelque chose de beau et de solide, s'assoyait à sa pelle et avec un bélier le détruisait pour voir s'il était réellement solide. Malheureusement, le mur, c'était moi et l'employé aussi. Un matin, je me suis levé et je me suis dit qu'il faisait ça en grande partie parce qu'il ne savait pas faire autrement. Je lui ai donné un pinceau et lorsque son mur eut fière allure et qu'il s'apprêtait à aller le détruire pour vérifier sa solidité, je l'invitait à le peindre, ce qu'il fit. Il passa toute la journée à peindre le mur et une fois la besogne terminée. Il s'éloigna et trouva son ouvrage beau, il fut ému et il n'eut plus envie de le détruire. C'est ainsi qu'il fit plusieurs murs. Je décidai alors de lui donner une île où il pourrait construire les bâtiments qui lui permettrait de se développer.

Sa première construction fut une chapelle de bois de couleur rose avec une flèche torsadée jaune et argent. Elle fut si vite et bien faite que sa réputation grandit. C'était le seul bâtiment de l'île. Je ne sais pas très bien pourquoi ce fut une chapelle qu'il construisit (plutôt qu'un bar ou un casino), mais je crois que c'est important. Et j'aimerais comprendre.

Plus tard, il décida de construire une cathédrale. Un projet très ambitieux qui prit plusieurs années. Cet homme qui détruisait les murs qu'il construisait se nomme Jean Courtemanche. C'est le fondateur de l'île.

C'est lui, et cette île, qui me sortit de la pénombre. Un lieu imaginaire, où je vis.

Grâce-Grace

Nous nous étions laissés sur ce moment de stupeur où la chanteuse s'était faite engouffrée par l'artichaut géant liquéfié. Les gens de l'île étaient à la fois soulagés de ne plus entendre les plaintes de la chanteuse, mais aussi triste d'avoir perdu une nouvelle créature si charmante. Après quelques heures, une figure humaine commença à émerger de la bouillie. Elle était droite et la gluance se dégageait d'elle sans laisser de trace sur son robe noire cintrée. Ses cheveux, courts, étaient à peine bouclés avec un certain volume, ses dents parfaitement droites, un sourire charmeur avec une pointe de coquinerie. Elle arborait des boucles d'oreilles scintillantes qui tintaient chaque fois que sa tête se mouvait et suivaient gracieusement les mouvements eux-mêmes gracieux de sa tête.

Une fois dégagée complètement de la glu, elle sourit à l'assemblée réunie. Elle sauta hors des débris de l'artichaut. Son saut semblait défier les règles de la gravité: impulsion minimale, courbe idéale, récepetion légère. En atterrissant, elle dit: bonjour! en faisant un léger salut, le genou fléchi. Elle tendit la main à Satan qui s'était approché: Grace.

Satan: Bonjour, madame. Fit-il en rougissant encore plus (si cela est possible).

Laissez-moi vous remercier de votre accueil en vous chantant quelque chose. Elle fit un petit signe de tête vers l'arrière et de l'artichaut commença à émaner des sons et force bulles. De longues plumes roses sortirent de la glu verte, celles de flamants roses sur de longues hampes. Puis des têtes sortirent peu après et ensuite des épaules, puis des violons, des coudes, des clarinettes: un orchestre complet émergeait de la putréfaction. Puis le clarinettiste toussa et cracha un gros blob de glu verte. Grace se tourna vers lui et lui dit: ça va. Il fit oui du chef et se mit en position de jeu.

Grace: Ce n'est pas le décor approprié, mais c'est tout ce que j'ai été capable de faire pour le moment: vous saurez me le pardonner. Je vous chanterai Grossmachtige prinzessin de R. Strauss pour fêter mon arrivée sur cette île, tout cela accompagné de mon orchestre, les Artsy Choke.

Elle regarda le pianiste qui attaqua, léger, délié, concentré son accord, puis elle chanta, légère, impliqué, sans distance avec le texte, d'une voix coloré, modulée, parfois forte, parfois fragile, mais toujours présente. Et les musiciens jouèrent à la suite, des musiciens à la personnalité forte qui bougent, qui s'expriment. Pas de ces manches à balai qui jouent les notes sans passion et sans intelligence, pas des zombies au coeur desséché, des robots aux articulations rouillés. Non, des êtres forts et puissants, sensibles et fragiles. Oui!

Tout le monde se coucha dans le gazon et ce fut un moment inoubliable où tous pleurèrent, rirent, allant en soi et en sortant. Magnifique apparition de la grâce dans l'île et en nous! Merci. Enfin.