vendredi 19 septembre 2008

Une visite à l'ogre

Il était recroquevillé au centre de la pièce, avachi sur le plancher poussiéreux et il pleurait. Non pas des pleurs sereins et résignés, mais des soubresauts tragiques et déchirants. Je le regardais, triste et honteux de cacher cet être si négligé et peu encouragé en moi dans cette pièce. Je ne pouvais faire autrement que de le regarder de biais. Et moi aussi, j'étais triste. Dans un coin de la pièce, gisait une poupée de chiffon sale et désarticulée. Aussi une girafe en plastique.

Je m'approchai de lui et ai eu le courage de le regarder en face. Je suis responsable de lui comme des autres, après tout, me suis-je dit. Il cessa de pleurer peu à peu, intrigué par ma visite. Je vins ensuite m'asseoir à côté de lui, assez proche pour que nos vêtements se touchent. Nous restâmes ainsi côte-à-côte pendant un long moment, cois. Puis, il frétilla maladroitement pour se gratter, car il semblait être atteint d'une vermine quelconque. Il regarda de biais, honteux.

"Bonjour, l'ogre" dis-je.

On sentit le malaise l'envahir: quelqu'un lui parlait.

"Bonjour." dit-il à mi-voix et en jouant avec son pantalon.

Pourquoi pleures-tu? Tu sembles si triste.

Il recommence à pleurer.

Parce que je suis enfermé, parce que personne ne vient me voir. Je me sens si seul, avec mes malheurs, avec ma peine, avec mon histoire.

Pourquoi es-tu descendu me voir? Reviendras-tu? La première phrase avait été dite avec une crainte et l'autre avec un franc espoir.

Je suis venu te voir car tu pleurais et parce que je me sentais coupable.

Il semblait parfaitement étonné.

Tu te sens coupable? Pourquoi?

Parce que je crée ton malheur. Parce que tu ne te répares pas.

Il semblait ne pas comprendre tout-à-fait...

Je mis ma main sur son pantalon et je lui dis: je t'aime. Je vais revenir te voir.

Je quittai la pièce et fermai la porte que je laissai cette fois déverrouillé. Je l'entendis ronfler.

mardi 16 septembre 2008

La plaine

Je regarde devant moi et il y a une plaine infinie. Les blés se meuvent au gré du vent et le soleil dore les grains. Peut-être y a-t-il aussi un cours d'eau au loin, un peu de relief quoi, pour créer de l'intérêt. Je regarde et je me sens bien. Un peu las sans doute, mais rien de bien dense comme sensation. Derrière moi, je le sais, il y a une maison, c'est la mienne. Elle ressemble beaucoup à celles que l'on dessine quand on a 4 ans. Un toit en pignon, dans le centre du pignon, une fenêtre, sous la fenêtre une porte. J'y reste seul. J'y invite bien des étrangers quelques fois, mais ils ne restent que rarement pour la nuit. Pas 2 nuits. Ils n'ont pas vraiment de raison de ne pas rester, c'est juste ainsi. Peut-être, reste-je trop en retrait? Peut-être n'y a-t-il pas assez d'emploi dans la région? Peut-être, peut-être. C'est la réponse aux questions sans réponses auxquelles on essaie de répondre seulement parce que l'on se sent mal à l'aise devant les questions. À ces questions, on devrait faire comme aux enfants de 4 ans: Parce que. Donc personne ne reste à coucher...

Personne, sauf évidemment Louis-Michel avec qui je blague, avec qui je fais des soupers, avec qui je dors quand je me sens seul. Louis-Michel mon antidote à moi-même, celui qui réussit à m'aimer dans toutes les situations et à faire de cette maison un paysage continuellement ensoleillé, qui ne permet que les clairs-obscurs des nuages passant sur les herbes, celui avec qui il fait bon se terrer durant l'orage ou la nuit, la chandelle allumée parlant de son éclat sur les murs peints à la chaux.

À ma droite, un cercle d'hommes nus qui se courent après. L'un veut celui d'en avant, et ainsi de suite. Ils courent et ne s'attrapent jamais. Un mouvement ridicule du désir où chacun veut toujours l'autre sans jamais l'atteindre.

Plusieurs solutions:

1) Mettre une roue au milieu et les obliger à moudre le grain
2) Les tuer un par un et les fumer. Beaucoup de sang.
3) Me mettre à crier, à pleurer et leur faire si peur qu'ils partent.

Des fois je cours aussi dans le cercle et je finis par avoir mal au coeur et je sors. Ça me fatigue.

Je regarde donc devant moi et je vois la plaine. Le cercle d'homme nu a disparu et je n'entends que le bruissement du vent dans l'herbage. Des fois, une peine vient me lacérer l'âme, mais rapidement, je respire et je sais que ma maison est derrière moi. Pignon, fenêtre, porte. Possiblement L-.M.