mercredi 29 octobre 2008

Généalogie d'Anselme

Une nuit vraiment noire, une femme voilée vint sur l'île (certains disent la princesse, d'autres Terese, ou encore une inconnue) un panier sous le bras et un enfant braillant dedans. Elle passa comme un spectre, un ombre évoluant dans la pénombre. Tous se turent, terrés dans leur maison feignant le sommeil, complice silencieux de l'abandon. La femme pénétra dans la Chapelle et alla abandonner l'enfant dans les sous-sols de la bâtisse, laissant l'enfant là pour mort. Pendant toutes ces années, chacun des habitants de l'île se relaya pour subvenir aux besoins vitaux de l'enfant. Mais cette entente était tacite et personne ne prit véritablement la charge de l'enfant. Pourquoi une telle honte autour de cet enfant, une honte venue de la mère même et poursuivie par les îlois? Quelles étaient les circonstances qui avaient présidé à sa conception?

Anselme grandit alors seul, enfant bénificiant du peu d'attention et d'amour qu'on lui offrait, déprimant dans son trou, nourrit à la honte qu'on éprouvait de lui. Fixant le mince rayon de lumière qui lui parvenait du soupirail.

Comment enfin survit-il? Enfin, c'est une question à laquelle je n'ai pas de réponse.

Lorsqu'Anselme sortit enfin à l'air libre, la grand conspiration se dégonfla et ce fut enfin aux acteurs de sa contention à ressentir la hont de leurs actes. Tout cela était plutôt étrange, car Anselme ne faisait a proprement parler rien à part être présent. Gazouillant à l'air libre, se roulant dans le gazon, parlant aux passants, chantant, s'adressant aux enfants.

Je sais qu'Anselme voudrait que je m'occupe de lui, que je sois son père, son tuteur aimant et présent, mais je ne suis pas encore capable. Je le trouve répugnant, gras, bavant, manquant de civilisation, trop aimant, débordant de lui-même. Mais je sais que ça le détruit, ça le fait devenir fou et que sans moi, il restera éternellement à la cave où il a grandi et moisi.

J'ai peur qu'il m'aime trop.

mardi 14 octobre 2008

Anselme est prêt

Je suis descendu à la cave et il était prêt. Ses pantalons bien mis, les lacets lacés, le noeud papillon tout droit et dans sa main un petite boîte à lunch brun-beige, tout ce qu'il y a de plus horrible. Et comme à l'habitude, il me dégoûtait un peu. Un grand bébé de 6'3'' gras et suant. Les cheveux blonds frisés et un air de chien excité et peureux. Rien de bien sympa.

Je lui montrai ses nouveaux crayons et sa plaquette de feuilles pour dessiner. Il les manipula fébrile et trépignant d'un bonheur intense. Il poussait de petits cris d'excitation. Je souriais à la fois heureux et gêné. C'est moche avoir honte de quelqu'un.

Je le regardai et lui demandai: Que fais-tu ainsi au pied de la porte. Il me répondit franchement: nous partons.

Moi: "Et où?"
Anselme: " À l'extérieur"

J'allais riposter, mais je me rendis à l'évidence que je ne pouvais plus faire autrement. Nous montâmes les 1053 marches de la cave et nous nous rendîmes jusqu'à la chapelle. En sortant du réduit, satan nous aperçut et fut profondément surpris:

"Crisse, yé dont ben gros"

Anselme s'approcha et se pencha juste au-dessus de Satan et le couvrit de son ombre. Satan s'effraya et rentra les épaules. Et dit en souriant jaunement: "Ah, mais t'as l'air fort par exemple". Anselme retrouva son sourire habituel et caressa la tête de Satan, ce qui, je le sais, dut le faire profondément chier.

Il prit sa petite boîte à lunch et s'engagea vers la sortie de l'ombre. Il ouvrit la porte de la chapelle et respira un grand coup. Les îlois, réunis pour un discussion sur le plan de réfection de la Cathédrale, restèrent cois. Il souria, lumineux et dit, claironnant " Bonjour!".

C'est ainsi qu'Anselme émergea du monde des limbes.

samedi 11 octobre 2008

Correspondance du Capricorne

Mon cher ami Brahma,

C'est un penchant de ma personne que de m'intéresser aux faits. J'ai tout comme vous les yeux rivés vers le ciel, mais mon strabisme m'empêche de ne pas voir mes pieds sur le sol. Toutefois, je comprends bien que la réalité dépasse mes yeux et je vous invite par cette missive à spéculer avec moi sur la nature de l'inconnu et de son rapport avec nos vies.

Bien à vous,

Virgile

=======================================================================

Cher Virgile,

Comment allez-vous? Il y a bien longtemps que vous n'êtes pas venus me rendre visite; je vous sais fort occupé avec vos publications et recherches. J'ai en effet les yeux tournés vers le ciel, mais encore bien plus vers l'intérieur. Car pour moi, la nuit étoilée se poursuit en moi. Beaucoup d'espace et un peu de clarté. Quand je regarde les herbes qui poussent dans les craques du trottoir, je ne peux m'empêcher de voir qu'en notre univers, quelque chose veut, la vie veut. Et que cette énergie est forte et fondamentale, que bien des choses nous forcent à l'oublier, mais qu'à la base, elle est là partout. N'est-ce pas fascinant que de voir tout ce que nous avons édifié, les formes magnifiques de la nature, les couleurs qui nous entourent, toutes choses qui émerveillent mon regard. Et pour moi cette chose est claire: une réalité nous dépasse et elle veut, elle est omniprésente et d'une intensité inouïe. Je crois même qu'il est plus sage de ne pas lui donner de nom, car sa présence dépasse largement le langage ( et il est si facile de s'obstiner sur les noms qu'on donne aux choses; de plus lorsqu'on baptise, on nomme, on devient drôlement possessif). Bref, pour moi cela est de l'ordre des faits. Et non pas de la croyance. Je ne peux pas croire au fortuit de l'entreprise.

Cher Virgile, embrassez pour moi celui ou celle que vous aimez et envoyez moi cette délicieuse recette de lentilles toscanes qui fait les délices de ma bouche et le malheur de mon entourage,

Allez en paix,

B.M.

jeudi 9 octobre 2008

Polaroid

Satan court après plein de poulets. Il s'amuse ferme. Pas de pièce de théâtre pour l'instant, des rêves, des idées et des poulets.
Terese a rencontré les journalistes. Elle s'est fait faire une photo dans son bureau, souriante et affairée. Un peu femme d'affaire des années 50, dans son empire. Elle Projette des profits records.
Jean Courtemanche: revient de la pêche.
Anselme devient propre et se pratique à faire des boucles.
Adrianna arrive a une maturité qu'elle ne croyait pas possible. Son art lui apparait avec clarté et puissance.
Princesse Amour regarde l'océan. Elle s'est durcie. Elle regarde à l'arrière et sur la table sa couronne de Reine git.
Louis-Michel danse dans l'espace et réalise le rêve fou de Saint-Denys Garneau.
20 degré celsius. Brise marine. Soleil.

Anselme, l'ogre

Cette fois-ci, il ne pleurait pas. Il avait étendu ses excréments partout sur les murs et me fixait durement dans ses vêtements souillés. Je comprenais bien qu'il avait fait cela pour me punir de ne pas être venu le visiter plus tôt. Je pris un seau et une brosse et je me mis en frais de laver les murs. Une odeur d'urine séchée et de merde alourdissait la pièce. Je sentis qu'il devint plus léger à mesure que j'avançais dans l'ouvrage. D'une manière, je m'occupais de lui et je savais qu'il avait raison de se venger, alors je ne montrais aucun signe de mécontentement.

Un peu après, je sentis qu'il s'agitait, qu'il voulait se mouvoir. Je posai la brosse et vint m'asseoir à côté de lui. Je le sentais heureux et touché.

"À quoi rêves-tu?"
"Je rêve à des chèvres: elles montent dans la montagne et gambadent"

"Pourquoi des chèvres?"

"Parce qu'elles sont seules et avec les autres. Et que les loups peuvent les manger"

"Je vais t'acheter de nouveaux vêtements et aussi des crayons à colorier et du papier.
J'aimerais que tu apprennes à faire quelques chose entretemps. C'est toi qui choisis"

"Je vais apprendre à attacher mes lacets. J'ai quelque chose à te demander à mon tour: n'attends pas que je m'ennuie avant de venir. N'attends pas que je devienne fou et malheureux avant de penser à moi. Pourquoi ne t'occupes-tu pas de moi spontanément?"

Je mis à pleurer, debout face à lui dans le milieu de la pièce et lui criai:" Parce que j'ai peur!"
J'ai peur de toi. J'ai peur de moi.

Il me regarda et dit: Demain, je mettrai des vêtements propres et mardi, je saurai faire les lacets. Viens mardi.

lundi 6 octobre 2008

Une princesse vieillie, mais lucide

Princesse Amour se regarde dans le miroir. Elle a quelques rides et un regard plus acéré. D'innombrables prétendants se sont succédés en audience privée et personne n'en est reparti avec son coeur sous la cape.
Elle se regarde dans le miroir, sans doute un peu fatiguée et durcie. Elle se connaît maintenant, elle et ses envolées fracassantes. Très haut et puis, FLOUC...elle s'écrase par terre. Comme un goéland en indigestion de frites.

Ses pages lui ont ramené la rumeur que le Marquis de l'O. s'approchait de ses terres et qu'on prévoyait une chasse où des entretiens secrets auraient lieu. Princesse se prépare et on ne lui a jamais connu un regard aussi déterminé. Elle se sourit, car elle se sait devenir Reine. Pour le meilleur et pour le pire.

Parlons, négocions et l'on verra.