jeudi 24 janvier 2008

La mort du roi

En fait...personne n'avait su comprendre assez tôt. Tous les habitants de l'île s'étaient réunis dans la petite chapelle autour du roi qui gisait sur l'autel. Personne ne savait que faire de ce monarque possédé du mal. Ils avaient convenu que le meilleur traitement eût été un exorcisme, mais personne de l'île n'était habileté à le faire. Aucun prêtre n'y habitait (bien que l'île possédât une chapelle, un presbytère flou et une cathédrale en construction) et n'y officiait. Personne ne désirait non plus la venue d'un ecclésiastique dans l'île, trop heureux et fiers de leur indépendance d'esprit. Chacun y alla de son mot sur le roi.

Terese Von Wartburg: Il n'a su accomplir toute sa richesse et sa grandeur.

Satan Brossard (qu'on avait couvert, tel un spectre de pacotille, d'un voile blanc pour pénétrer dans la chapelle) : C'était un homme bon, injustement possédé par le mal.

Gontran, chevalier: C'était mon roi.

Princesse: (à part elle) Il m'avait été promis...

Jean Courtemanche, entrepreneur: Tant de projets, et sans descendance. Je suis triste pour le roi.

Ils se regardèrent tous dans les bancs de la Chapelle et comprirent qu'ils n'étaient pas réunis autour du roi pour trouver un remède à son mal, mais pour faire son oraison funèbre et assister à sa mort. Ils joignirent les mains et le silence du deuil emplit la chapelle. Après un moment, chacun sortit à son gré.

Seul Brahma Ménard était resté dans un coin, silencieux et attentif.

Plusieurs minutes passèrent, l'air était chargé d'un épais silence, un silence de velours dans lequel on se frotte et se prélasse. Brahma se leva et se dirigea vers le monarque assoupi. En effet, bien que les habitants de l'île avait conclu à sa mort, son corps, lui, vivait toujours. Il s'approcha de l'autel et contempla le monarque dans sa noblesse et sa majesté.

Il s'agenouilla près de lui et lui murmura; majesté, maintenant, réveillez-vous, vous devez libérer votre coeur avant de nous quitter. Il toucha son épaule et le roi ouvrit les yeux et tourna la tête. Il tendit la main vers la figure de Brahma.

"Brahma, en vain j'ai tenté d'exister. J'aurais voulu que ma grandeur s'accomplisse, j'aurais voulu régner et que ma bonté s'épanouisse. Mais ce ne sera pas. Je suis attendu ailleurs et mon mal sera ma mort. En exil, je suis parti et pour mourir, je suis de retour. Ni ici, ni ailleurs est mon royaume: je n'ai rien sur quoi régner. Voilà ma fin. Je suis un roi sec, un roi sans descendance et pour cela je dois mourir. Je dois partir pour laisser la place à ce qui est et cesser de prendre la place de ce qui devrait être et ne sera pas."

Il s'approcha de moi et me baisa sur la joue, raconta Brahma. Je sentis sa grandeur et son amour me pénétrer. Je lui dis: Majesté, votre grandeur, votre amour et votre souvenir vivront à travers nous.

Il regarda le plafond de vitrail au-dessus de l'autel et son regard s'illumina, attiré par la danse des couleurs et le chatoiement des tons. Il dit: Qu'il en soit ainsi.

Ses paupières se fermèrent et son existence entama son decrescendo tranquille. Une note d'orgue vibra et un enfant entama de longues volutes cristallines, mélismes intriqués qui accompagna l'âme du défunt dans l'au-delà.

Tel fut la fin de notre roi.
L'île la pleure.

Amen.

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