lundi 18 février 2008

Jean Courtemanche devant ses échecs

Dure année pour le pauvre Jean. La construction de chapelles, d'églises et de cathédrales est en pleine croissance et ses mérites de contracteur ont été reconnus en dehors des frontières même de l'île. Le pauvre Jean est fatigué et déçu; fatigué d'avoir tant travaillé, mais aussi déçu de ses employés et de ses clients.

Le problème de Jean Courtemanche, c'est qu'il est trop honnête et trop parfait. Son amour de la construction religieuse (choisir le type de pierre, les volutes, les arcs, les pigments, tout!) et sa passion pour le travail rigoureux sont tels qu'ils le rendent pur et droit. Mais le voilà depuis quelques semaines assis dans son sofa et il regarde d'un air vague son bilan financier et les différents plans des églises construites. Il se rappelle aussi de cette secrétaire fatigante qui se limait les ongles à s'en écourter les doigts, de cet employé névrosé qui un coup le travail accompli détruisait tout avec sa masse en pleurant, de ce rabin roublard tricotant et retricotant ses phrases pour économiser quelques centimes et vous faire sentir comme si vous étiez le pire contracteur religieux du monde (fini les synagogues se dit-il), de cette chanteuse de messe hystérique qui venait s'érailler en plein chantier dérangeant et terrorisant les ouvriers, leur demandant de danser avec leur pelle et de la repeigner avec leur râteaux, et même de son propre père Anselme Courtemanche qui venait se lamenter du passé demandant attention et rétribution.

Décidément, il ne voyait pas trop à quoi ça servait de construire des églises, de faire ce qu'il aime quand tous ceux avec qui il travaille viennent foutre le bordel sur le chantier, retardant les échéances, rendant le travail lourd, enduisant de poix ses nobles ambitions.

Mais ne voyez-vous pas qu'on ne bâtit pas des églises comme des maisons? clamait-il.

(J)ean: Mais i comprennent pas qu'on fait pas une église comme un shack? disait-il à Réjeanne Courtemanche, sa redoutable et efficace épouse.

(R)éjeanne: (lui flattant le crâne dégarni, d'un air distrait et un peu exaspéré) Et pourquoi on ne bâtirait pas une église comme un shack?
J: (soupirant tel un ballon qui se dégonfle) Parce que
R: (toujours exaspérée)Parce que quoi?
J: (enflammé, se redressant soudainement, mais en ayant mal au dos à cause de la soudaineté du geste quoique cachant la douleur par souci d'épargner son honneur devant la redoutable R)Parce qu'une église c'est grand, c'est noble, ça sert à nous rapprocher de ce qu'il y a de meilleur en nous et chaque pierre doit être posée avec cette intention.
R: chéri
J: oui
R: 1) Il y a des gens qui construisent des églises pour d'autres raisons (pour payer leur bills par exemple)
2) Il semble clair que ce ne soit pas tout le monde qui possède le même degré de droiture, de rectitude et la même exigence envers soi-même que toi.
J: (choqué) c'est choquant
R: (résumant) J'en conviens. Maintenant, tu es averti, tu le sais.
J: Oui, mais là j'ai plus envie de travailler, j'suis fatigué, j'suis pas motivé. Qu'est ce que je vas faire?
R: Ben tu vas prendre des petites vacances, j'vas te faire un bain de pied pis du pâté chinois. Pis laisse-moi gérer le monde sur le chantier. Tu vas voir, i vont filer doux. Pis ton rabin, tu me donneras le téléphone, m'a i organisé sa synagogue.
J: (désespéré) Ah maudite synagogue: on avait même pas fini de peinturer les murs, pis la i m'a dit que la peinture était pas de la bonne couleur, pis qu'on aurait dû commencer par le mur du fond, pis qu'a sentait trop fort. Pis i m'a dit de partir. Maudit chien sale. Moi qui avait fait un si beau plan, pis au 3/4 construit.
R: Ben t'as été assez épais mon Jean pour payer la peinture de ta poche "parce que cette marque-là ça faisait plus beau".
J: (larmoyant)Mais ça faisait vraiment plus beau...pis en plus, je me disais que ça m'amènerait d'autre contrat de synagogue.
R: Bon, ça suffit mon Jean...tu commences à me casser les oreilles. Si le rabin rappelle, je vais lui dire de s'étouffer avec ses boudins, la chanteuse hystérique est partie (gravement blessée lors d'un orage de poulet), l'employé névrosé s'est suicidé, ton père est retourné à l'hospice, la maudite folle fatigante de secrétaire, tu l'as déportée pis t'as acheté un afficheur. Yé où le problème?
J: je suis pas motivé, j'ai pas envie de travailler.
R: Parfait, je vais m'occuper du travail en attendant. D'ailleurs, t'as reçu une soumission pour construire une grotte aux miracles dans une cathédrale presbytérienne. Y ont ben de l'argent...
J: enwèye, enwèye, montre-moi ça!


Incorrigible Jean.

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